5 pistes pour que l’industrie donne l’impulsion à la décarbonation

Décarboner est un impératif pour respecter nos engagements pour le climat pris à l’échelle française et internationale. Sobriété, efficacité énergétique et verdissement constituent les trois voies à emprunter pour mener à bien ce vaste projet et réussir notre transition énergétique. Parmi les moyens à disposition, la récupération de chaleur fatale auprès des industriels doit être particulièrement encouragée en raison du gisement substantiel qu’elle représente. 

Grâce à une approche ambitieuse et globale, elle permet à la fois de lutter contre le gaspillage énergétique, d’assurer la performance des installations et de verdir zones industrielles et collectivités. Thierry Landais, directeur du développement France pour les Solutions Industrie chez ENGIE Solutions, décrypte le potentiel de ce procédé innovant appliqué aux sites industriels et présente 5 pistes qui pourraient permettre d’inciter et de généraliser la récupération de cette chaleur fatale.


Une ressource sous-exploitée aux enjeux multiples 

Si l’on parle souvent des énergies renouvelables, on insiste moins sur celles dites de récupération alors même qu’elles vont de pair, comme en atteste l’acronyme « EnR&R ». Dans l’industrie, secteur responsable de 18 % des émissions de carbone en France, on appelle chaleur fatale, l’énergie thermique produite par un procédé industriel dont elle n’est pas la finalité. Sa récupération consiste à convertir les calories excédentaires en énergie réinjectée localement ou utilisée à d’autres fins. Il s’agit donc de valoriser cette énergie fatale, qui aurait sinon été perdue, en la transformant en énergie utile, réutilisée intelligemment. A l’origine des gisements de chaleur fatale dans l’industrie, on trouve l’agroalimentaire (31 %), la chimie et les plastiques (22 %), le papier et le carton (13 %), les métaux dont la sidérurgie (12 %) ou encore les matériaux non métalliques comme le ciment et le verre (11 %)[1].

L’ADEME estime la production de chaleur fatale issue de l’industrie à 110 TWh par an[2], ce qui représente environ un quart de la consommation électrique des Français. 30 % de l’énergie consommée dans le secteur industriel est ainsi perdue chaque année. Ce gisement, accru par la réindustrialisation, est colossal et son exploitation revêt un caractère stratégique en matière de souveraineté et d’efficacité énergétique. Ceci, d’autant plus que cette chaleur peut être valorisée pour deux usages principaux : elle peut être utilisée localement, permettant ainsi au process industriel de s’autoalimenter (valorisation interne), ou être destinée à l’alimentation d’un réseau de chaleur qui, lui-même, desservira des logements, des bâtiments communaux, des écoles, des bâtiments tertiaires ou encore d’autres industriels (valorisation externe). Dans les deux cas, sa récupération sert la décarbonation.

Pour illustration, dans l’industrie agroalimentaire, qui représente 31 % du gisement de chaleur fatale dans l’industrie[1], la chaleur générée par le process de fermentation des levures peut être réutilisée dans un autre maillon de la chaîne dédié, par exemple, au séchage de ces mêmes levures. Nos équipes ENGIE Solutions accompagnent le Groupe Lesaffre pour décarboner son site historique de Marcq-en-Barœul, à proximité de Lille. Lesaffre explore depuis plus de 170 ans le potentiel de la fermentation et micro-organismes pour répondre aux défis alimentaires et environnementaux de demain. Les équipes ENGIE Solutions installent actuellement une unité de récupération de chaleur fatale par l’installation de deux pompes à chaleur d’une puissance totale de 19 MWth qui permettront de transformer la chaleur produite dans l’atelier de fermentation (moment de l’étape de multiplication cellulaire des levures), pour l’injecter dans le processus de séchage des levures. Dès 2025, ce système évitera l’émission de 30 000 tonnes de CO2 par an et également de réduire la consommation d’eau du site, avec 150 000 m3 d’eau économisés par an.

Outre l’argument énergétique, déjà évoqué, l’argument économique n’est pas non plus négligeable : recourir à la chaleur fatale, c’est recourir à une énergie décorrélée des énergies fossiles et de la volatilité de leur prix. Cette énergie thermique disponible est de plus déjà payée, ce qui permet de réduire l’achat d’énergie extérieure. A plus grande échelle, la récupération de chaleur fatale est un moyen de lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, son bénéfice est triple : énergétique, économique et environnemental.

La récupération de chaleur fatale crée donc un cercle vertueux entre l’industrie et les territoires, entraînant une accélération simultanée de la décarbonation. C’est la notion d’écologie industrielle territoriale, pilier de l’économie circulaire déjà identifié dans la loi relative à la transition énergétique du 17 août 2015. L’enjeu est donc commun et transversal pour l’industrie, qui devient l’alliée de la décarbonation, comme pour les collectivités et le secteur tertiaire. C’est l’une des spécificités d’ENGIE Solutions, qui, en conjuguant des expertises complémentaires, joue un rôle de facilitateur entre ces acteurs et met ses savoir-faire à leur disposition. 


Une technologie mature au défi de son expansion

La stratégie nationale bas-carbone vise, en France, la neutralité carbone à l’horizon 2050, soit une division par 6 des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire français. Pour accélérer le recours à la récupération de chaleur fataleindustrielle, ENGIE Solutions s’est fixé des objectifs ambitieux pour doubler sa puissance installée en termes d’énergies renouvelables et de récupération installée d’ici 2030 en passant de 400 MW actuellement à 800 MW. L’atteinte de ces objectifs ambitieux en déployant certains procédés à l’échelle nationale se heurte toutefois à plusieurs limites.

Bien que la récupération de chaleur fatale soit un procédé éprouvé, des freins à son développement subsistent et sont de deux ordres. Un frein opérationnel, d’abord, qui appelle la maîtrise des nouvelles technologies de récupération de chaleur fatale pour assurer la fiabilité des installations, la captation de la chaleur, son traitement et sa réutilisation. Une contrainte financière, ensuite, car la mise en place de systèmes de récupération de chaleur fatale nécessite de lourds investissements. Or, il faut prendre en compte les risques de cessation d’activité de l’industriel ou de fermeture du site émetteur de la chaleur fatale, dont les conséquences ne sont pas couvertes pour les parties prenantes. On peut aussi imaginer que ce soient les bénéficiaires de la chaleur distribuée qui disparaissent. Quand bien même la réalisation d’installation de récupération de chaleur fatale est subventionnée, cela reste insuffisant pour inciter les acteurs à y recourir : il faut sécuriser l’investissement dans la durée pour en assurer la pérennité.

Outre les questions financières et assurantielles, l’innovation technologique à l’origine du développement de nouvelles industries ouvre également de nouvelles perspectives pour la récupération de chaleur fatale. La construction de datacenters représente notamment un terrain d’application de la récupération, ces infrastructures représentant d’importants viviers de chaleur fatale. Si, en 2020, le potentiel de chaleur fatale récupérable était estimé à 1 TWh, il pourrait plus que tripler en 2030 pour représenter 3,5 TWh[1]. L’industrie doit aujourd’hui prendre la même place que celle occupée par les unités d’incinération et de valorisation énergétique des déchets (UVE) dans les sources de chaleur fatale. La proportion de cette chaleur d’origine industrielle dans les réseaux n’est en effet que d’1 %, contre 27 % issue des UVE[2].


De nouveaux leviers à actionner pour que la récupération soit systématique 

  1. Sécuriser : pour pallier les aléas précités. Il est nécessaire de mettre en place de solides mécanismes d’assurance. Ce serait tout l’intérêt d’un fonds de garantie assurantiel dédié, récemment évoqué par le ministère de l’Economie. Outil très attendu par la filière industrie, il permettrait d’abonder un fonds pour chaque projet afin de pouvoir couvrir une défaillance industrielle et une rupture de la fourniture de chaleur auprès des clients. Un dispositif similaire est déjà opérationnel pour la géothermie utilisée également en milieu industriel, qui fait face à ses propres aléas.
  2. Généraliser : pour permettre de bénéficier au maximum de cette production de chaleur. Il est nécessaire de généraliser l’étude préalable du potentiel de valorisation de chaleur fatale des sites industriels et data centers. Cela pourrait conditionner l’attribution d’aides publiques en respectant une démarche de valorisation des ressources territoriales disponibles. 
  3. Inciter : Il est nécessaire d’instaurer des mesures incitatives qui seraient favorables aux industriels et leur permettrait de rendre ces études préalables incontournables. Il pourrait être imposé de systématiquement prévoir un volet valorisation de la chaleur fatale dans les appels à projets Industrie de l’ADEME par exemple. Autre piste, la récupération de chaleur fatale pourrait permettre aux industriels d’accéder à des mécanismes de réduction de taxation (TICFE) ou de faciliter la valorisation d’un impact positif sur leurs bilans carbone ou encore de faciliter un échange de quotas d’émission par système ETS. 
  4. Agréger : les données issues des études préalables de potentiel des industriels qui sont supérieures à 5 MW et les publier sur le site EnRezo[1]. Cela permettrait de cartographier les potentiels de chaleur disponibles et de faciliter la mise en relation avec les industriels et les territoires. 
  5. Optimiser : la fiche CEE dédiée à la valorisation de chaleur fatale afin de la rendre encore plus avantageuse pour les industriels. La récupération de chaleur doit être perçue comme un levier de rentabilité, en plus d’être un levier d’économie et de sécurisation de l’énergie. 

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